ABI (+) get ready for the storm, it's coming

∞ my life as a duck ∞

« Tu m’racontes une histoire ? » demandait une minuscule Abigail, deux couettes sur le côté de la tête et un pyjama rose à l’effigie de Winnie l’ourson. Ses grands yeux bruns brillaient comme deux perles. Elle était adorable. Sa grand-mère lui sourit tendrement et s’assit près du lit. Elle venait de dire à la petite d’aller se coucher et de dormir, que demain serait une dure journée, mais Abi avait ce regard suppliant qui convaincrait le plus têtu des parents. Assise près du petit lit, elle raconta pour la millième fois l’histoire de Peter Pan. « Il était une fois, un petit garçon qui ne voulait pas grandir… »

Abigail n’avait pas de frères et sœurs. Elle avait perdu sa mère à l’âge de trois ans et elle n’avait jamais connu son père. Elle avait toujours vécu avec sa grand-mère. C’était une vie plutôt difficile, sa mamie n’ayant que peu de revenus, elles avaient vécu comme elles le pouvaient. Abi grandit avec les valeurs de sa grand-mère. Elle ne regardait que rarement la télévision, elle adorait la cuisine, elle passait beaucoup de temps à faire du bénévolat, elle était très généreuse et elle ne comprenait pas grand-chose à la mode. Son histoire favorite était Peter Pan. Elle rêvait de ne jamais grandir, comme lui, de le rejoindre sur son île et de vivre heureuse avec les autres enfants. Elle était différente des autres enfants de son monde.

On raconte que ce qui est différent est beau. Pourtant, Abigail ne le vit pas du même œil. À peine était-elle en première année que l’on se moqua de ses manies étranges, on l’insulta, on la transforma en victime.

1er septembre 2001

L’hiver d’Australie se terminait. Abigail portait ses plus beaux vêtements, plus pour faire plaisir à sa mamie qu’autre chose. Après tout, elle avait huit ans, alors ce qu’elle portait, elle ne s’en préoccupait pas vraiment. À ce qu’il parait, il fallait faire attention le premier jour, bien paraitre, donner une bonne impression aux autres, mais Abi ne le voyait pas du même œil. Pourquoi faire un effort seulement le premier jour ? Sa caboche d’enfant n’arrivait pas à comprendre le concept. Malgré tout, elle aimait faire plaisir à sa grand-mère, alors pourquoi pas.

Il n’y avait pas que cela. Abigail détestait l’école, alors l’idée de se vêtir de ses plus beaux vêtements pour une telle occasion ne lui plaisait pas. Son sac à dos sur ses épaules, elle regarda sa mamie d’un regard suppliant, avant de quitter pour de bon la maison. « Est-ce que je dois vraiment y aller Mamie ? » demanda la petite. Sa grand-mère hocha la tête, lui promit que tout irait bien, comme les autres années. Abi ne comprenait pas vraiment cela non plus. Pourquoi l’envoyait-on à cet endroit alors que c’était si horrible ? Elle avait tenté d’en parler à sa grand-mère, mais elle lui disait que c’était normal que ce soit difficile. Difficile, était-ce le mot ? Les autres élèves se moquaient d’Abigail, elle n’avait aucun ami et elle était incapable de se concentrer. Puisque personne ne réagissait face à ce genre de comportement, Abigail s’était faite à l’idée que c’était normal, que c’était censé être ainsi et que tout le monde passait par là. Pourtant, l’enfant n’était pas idiote. Elle regardait autour d’elle et elle voyait bien que les autres enfants souriaient et s’amusaient. La seule personne qu’Abi aimait à l’école, c’était sa professeure principale. Mme Turner était gentille et, aux yeux d’Abigail, elle la protégeait des autres élèves. Lorsqu’elle était présente, elle n’avait pas à affronter leurs commentaires méchants, ils se taisaient. Mme Turner était devenue une sorte d’héroïne pour Abigail. Lors de sa troisième année, elle aperçut la professeure dans sa classe. Abi se senti tout de suite mieux. Au moins une chose de positive; une personne qu’elle aimait était autour d’elle.

La journée se déroula comme toutes les journées précédentes qu’elle avait vécues à cet endroit. Ce fut même pire. Abigail ne voulait faire de mal à personne. Elle tentait d’appliquer les conseils des plus grands, elle allait vers les autres, elle était gentille et, pourtant, ça ne marchait jamais. Une petite fille avait cassé la tête de sa poupée et avait mis la faute sur Abigail. Cela peut paraitre idiot, mais, pour la première fois, Abi sentit les larmes naitre au creux de ses yeux, Mme Turner était fâchée, elle la gronda devant tout le monde. Son héroïne, sa protectrice, la laissait tomber. Elle ne comprenait pas. Tout cela, elle ne le comprenait pas et elle ne le comprendrait jamais. Pourquoi elle était la victime, alors qu’elle n’avait rien fait. Pourquoi personne ne lui avait jamais laissé la chance de faire ses preuves. Pourquoi même ceux qu’elle aimait lui tournait le dos, toujours. Pourquoi elle était obligée de serrer les poings et de retenir ses larmes, alors qu’elle n’était qu’une enfant. Pourquoi elle devait affronter toutes ses épreuves si jeunes. Ce qu’elle avait fait, elle ne le saura jamais, tout ce qu’elle sait, c’est qu’elle vécut des épreuves plus difficiles jours après jours. Les gosses, ça n’a pas de loi et, plus ça vieillit, plus ça a des idées. Abi en fit les frais. Elle souffrit et elle se renforcit, elle apprit à se défendre. Que pouvait-elle y faire ? Si elle ne se défendait pas, elle souffrait. Elle n’en pouvait plus de souffrir et, cela, personne ne le comprit, à part elle. Peter Pan n’existait pas, elle le savait et elle ne souhaita plus jamais le rejoindre dans son monde enchanté.

Abigail apprit à se défendre à l’école primaire. Elle vieillit, elle devint plus courageuse et elle ne se laissa plus marcher dessus. Au contraire, elle effrayait, elle se vengeait. Son adolescence n’est pas belle à raconter. À peine à la première année, elle apprit à mettre son poing dans le visage d’un mec et elle n’hésita plus à user de sa force. La directrice la connaissait très bien, comme elle passait avec elle beaucoup trop de temps. Ses notes étaient pitoyables, elle reprit deux années avant de réussir à obtenir un diplôme et cela relevait du miracle. Cela ne dérangeait pas vraiment Abigail, elle détestait l’école et les autres élèves, elle détestait tout ce qui était scolaire et cette haine ne diminuait pas.

10 novembre 2007

C’est con les mecs. Ça croit que parce que c’est un mec, ça ne peut pas se faire donner une raclée, que, forcément, c’est leur foutu testostérone qui va gagner. Personnellement, je suis une fille et je ne suis pas aussi stupide. Je sais bien que ce n’est pas parce que les gens trouvent que je suis adorable que je ne peux pas avoir une bonne droite. Ce jour-là, j’étais fatiguée. Fatiguée, lasse et tellement, tellement à bout. Je ne crois pas que vous pouvez comprendre. Les gens, ils croient qu’ils peuvent comprendre, mais ils n’ont aucune idée. Ils ne savent pas ce que c’est que de se lever chaque matin et de n’avoir qu’un souhait : être l’heure de retourner au lit. Ils ne comprennent pas comment on se sent quand on est face à des dizaines et des dizaines de regards méprisants. On ne comprend pas ça. Alors, moi, franchement, je m’en fous de ce que les gens pensent. Quand ce mec, celui qui me rend la vie impossible depuis trop longtemps, a décidé de se moquer de moi ce jour-là, je n’ai pas pu résister. Je lui ai mis mon poing dans le visage et c’était si bon ! J’ai senti en moi-même ce sentiment de force et de pouvoir, la vengeance. Il a essayé de me retourner mes coups, mais ceux qui se moquent sont souvent les plus faibles et il l’était. Je lui ai défait le visage, honnêtement. Je ne voyais plus clair, je voyais rouge, j’étais si furieuse, c’était toutes ses années que j’ai vécu d’horreur que je lui mettais dans le visage. Lorsque l’on m’a arrêté, j’étais toujours aussi furieuse, je frappais tout ce qu’il y avait devant moi et je ne le regrette pas. Je ne regrette pas de m’être battu ce jour-là, parce qu’il le méritait. Malgré la suspension, malgré la haine décuplée de mes compères, je m’en foutais, j’étais soulagée d’avoir montré que je n’étais pas qu’une victime.

À seize ans, elle rencontra Zach et vécut ce qui serait le plus proche de son premier amour, mais qui se termina d’une manière pitoyable. Elle n’arrivait pas à s’ouvrir, elle s’était construite de telle barrière qu’elle n’osait avouer à qui que ce soit ce qui faisait qu’elle était Abigail. Zach était un jeune homme bien, contrairement à ce que l’on pourrait croire. À l’intérieur d’elle, Abi souhaitait encore une adolescence comme les autres et, en sortant avec Zach, elle espérait secrètement l’atteindre. Malheureusement, cette relation se retrouva bien vite à sens unique, seul Zach y participait, cela nécessitait trop d’intimité et elle en était incapable. Leur relation dura 1 an. Cela resta plutôt superficiel, quelques sorties et beaucoup plus de rapprochements physiques que psychologiques. Il fut celui qui rompit avec elle. Elle ne pleura pas, elle ne ressentit pas grand-chose, en fait. Étrangement, grâce à cette relation, Abigail réussit à sortir de son moule d’enfant dangereuse. Elle rencontra des jeunes femmes et lia une amitié avec elles, une amitié plus forte que la relation complète avec Zach. Doucement, mais sûrement, Abigail se créa une véritable vie et elle l’appréciait. Elle s’en sortait et s’amusait.

Du côté de sa mamie, celle-ci l’encouragea durant toute sa scolarité. La grand-mère d’Abigail était l’une de ses personnes âgées qui réussissent à voir la vérité, alors lorsqu’Abi raconta la vérité à sa mamie, elle comprit et elle jura de l’encourager. Elle ne se fâcha pas lorsqu’Abigail rentrait à la maison, les poings abimés et le regard las, ni lorsqu’elle recevait des appels de la directrice. Elle était là pour lui donner des conseils, après tout, elle s’en voulait terriblement de l’enfance qu’avait vécu Abi. Celle-ci ne lui en voulait pas, comment aurait-elle sût ? Les seuls bons souvenirs qu’elle avait étaient ceux avec sa mamie, elle l’adorait. Lorsqu’elle quitta l’école, diplôme en main, Abigail avait réussi à reprendre sa vie en main, plus forte que jamais et prête à affronter la vie. Par contre, elle ignorait ce qu’elle souhaitait faire dans la vie, elle l’ignore encore d’ailleurs. Elle travaille, un peu partout, enchaîne les petits boulots, aide sa mamie à faire du bénévolat et tente de ne pas penser à ce connard de Liam, qu’elle apprécie trop à son goût.