★ ET L'OCEAN DE L'OUBLI.

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∞ my life as a duck ∞

J A X

INSOUCIANCE. Novembre 2002, Marlow et Jax ont douze ans.

« Du poivre ! Une tonne de poivre ! » Jax se gratta la tête et puis se frotta le menton pour donner l’impression de réfléchir. « C’est trop facile ça, nous on est des génies du crime, il faut innover ! » Son pied frappait le sol, Marlow attendait silencieusement sa brillante idée. « J’ai trouvé ! Attends deux secondes. » il s’élança à travers la maison, monta les escaliers quatre à quatre, s’enfonça dans le couloir, revint les bras chargés de produits, redescendit les marches, manqua de tomber deux ou trois fois et déposa tout en vrac sur la grande table de la cuisine. « Mousse à raser, shampoing et, cerise sur le gateau… » Il chercha dans sa poche arrière. « Bicarbonate ! » Les jumeaux explosèrent de rire et commencèrent à saccager la soupe de leur mère.

LA VIE. Janvier 2013, Marlow et Jax ont vingt-deux ans.
« T'en veux une ? » Jax se tenait en dessous du montant de la porte de la cuisine, une bouteille de bière dans chaque main. Marlow était assise sur le canapé, recroquevillée, les jambes rabattues contre sa poitrine. Elle leva légèrement la tête et fit un faible signe de la tête. En temps normal, Jax lui aurait balancé la bouteille depuis l'autre bout de la pièce sans se demander si le verre pouvait la blesser ou non. Et puis elle l'aurait parfaitement rattrapé. Mais il avait senti qu'elle n'était pas bien. Il s'assit à côté d'elle et lui tendit une bière qu'elle serrait sans grande conviction. « Ca va pas ? » Il lui donna un léger coup affectueux dans l'épaule et tenta de faire la pire des grimaces. Elle ne put s'empêcher de rire. « C'est rien de grave, t'en fais pas. » Elle arracha la capsule avec ses dents et en bu plusieurs gorgées, c'était une bonne excuse pour ne pas parler. « C'est pas la première fois que j'entends ça. Et puis la dernière fois qu'il n'y avait "rien de grave" » Il l'imita en forçant les traits. « Je t'ai retrouvée aux rocheuses alors qu'une tempête était annoncée. Alors tu me dis ce qui ne va pas ou je demande du renfort du côté de Keats et Wren... » Elle faillit s'étrangler et sortit d'un seul coup du quasi mutisme dans lequel elle s'était plongée. « Ah non non, surtout pas Keats ! Surtout pas ... » Jax se frappa violemment le front. « Ok, j'ai cerné le problème. Low, t'es jours pommée par rapport à lui ?! » Elle enfouit sa tête dans ses bras et articula quelques mots. « Ouais, je m'en sors pas du tout. » Alors Jax entreprit un long monologue. « Mais merde, tu peux pas laisser ça en suspend ! Jamais on aurait cru qu'il serait capable d'avouer ses sentiments à qui que ce soit et bam, il te fait clairement comprendre qu'il est à fond sur toi. Ok, c'était par une chanson, ok peut être qu'on extrapole complètement mais je pense pas. Il t'aime, c'est sûr. Même si Wren pense pas. Mais te la joue pas Yoko Ono, fou pas le merdier dans le groupe par pitié ! Déjà j'approuvais pas que tu sortes avec ... » Il commença à bégayer et le coeur de Marlow se mit à battre rapidement. Rien qu'évoquer son nom, un an après, était une souffrance pour toute la bande. « Avec ... » Il prit son courage à deux mains. « Avec Hunter. » A son tour il avala plusieurs gorgées d'affilé. « Mets les choses au clair. Au moins pour moi, pour Wren, pour le groupe. » Elle se ressaisit un peu. « Je sais bien que je dois mettre les points sur les "I", mais c'est pas si simple. Keats c'est l'homme idéal, mais à chaque fois que je suis avec lui il me rappelle le jour où ... Hunter est mort. Et puis il est si réservé. Je suis dans la mouise Jax, jusqu'au cou ! » Il s'allongea sur la canapé, mit ses jambes sur Marlow et secoua ses pieds aux chaussettes toutes trouées sous son nez. « Bah au pire tu finiras vieille fille et mes pieds pourront te tenir compagnie ! » Elle lui balança un coussin en pleine face. « Hors de question, ils puent beaucoup trop ! » Ils partirent dans un fou rire incontrôlable.

K E A T S

LA MORT. Mars 2012, Marlow et Keats ont vingt-deux ans.
Son rythme cardiaque s'était soudainement accéléré, elle sentait les battements de son coeur cogner violemment contre sa poitrine et le sang affluait dans ses tempes. Elle pouvait presque l'entendre. Plus rien autour d'elle n'avait d'importance, plus aucun son ne parvenait à ses oreilles, elle était comme immergée dans un océan de silence, de vide, de solitude. Ses mains, tremblantes, serraient comme jamais le chronomètre qui voyait les secondes et les minutes défiler à toute allure. « Low, s'il ne remonte pas dans les deux minutes tu sais très bien ce qui va se passer. » Keats avait cette voix grave et sérieuse qu'on lui connaissait si bien, mais à laquelle venait cette fois-ci s'ajouter un soupçon de peur. Elle renforça l'emprise sur le chronomètre et serra les dents pour contenir sa colère. Ou sa tristesse. Elle ne savait même pas, elle se refuser de penser à l'impensable. « Il va remonter. Il va remonter. » Mais les secondes filaient, une, deux, trois, quatre ... Elle perdait espoir sans vouloir l'admettre. « Marlow il faut que je plonge, il va y rester ! » Elle faillit s'effondrer tellement la peur avait pris possession de tout son corps. Aucun des deux ne savaient vraiment quoi faire, balancés entre la promesse faite à Hunt ou le devoir de tout citoyen de porter assistance à personne en danger. Elle balança le chronomètre à l'autre bout du voilier. « On lui a juré de ne pas aller le chercher Keats ! Il a voulu plonger seul, sans balise de suivie, il avait tout calculé ! » Il s'approcha d'elle et la secoua assez violemment. « Déconne pas, il va crever si on ne fait rien, promesse ou pas promesse ! » Elle avait envie de fondre en larmes, elle aurait voulu que tout ça ne soit qu'un cauchemar, se réveiller en sursaut et tourner la page. Elle prit une grande inspiration et dans un enchaînement de gestes précipités elle attrapa un masque, un scooter sous-marin et plongea dans l'eau. Elle s'enfonça rapidement dans les profondeurs de l'océan Indien qu'elle connaissait si bien. Tout se disloquait quand elle plongeait, plus aucun repère, aucune notion du temps, de l'espace. Où est le nord, le sud, le fond ou la surface, la lumière ou l'obscurité ? Impossible de savoir. Le corps se transforme, enivré. Mais elle ne perdait cependant pas son but, il fallait qu'elle le retrouve. Elle allait bien plus vite, munie se son moteur. En un rien de temps elle aperçut la lumière frontale d'Hunter. La scène était si irréelle, l'ivresse des profondeurs lui faisait tourner la tête, elle aurait juré être dans un rêve psychotique. Elle était paralysée, incapable de faire quoi que ce soit alors qu'Hunt, surement déjà mort, s'enfonçait dans les profondeurs. Elle ne sait pas exactement combien de temps elle était restée dans l'eau, immobile, à regarder le corps disparaître sans agir. Et puis son coeur la sortit de sa transe marine, la réalité lui revient en pleine figure et sa cage thoracique se comprima fort, si fort. Elle remonta à la surface plutôt rapidement, mais dès que sa tête sortit de l'eau elle s'effondra.

Pendant plus de deux semaines elle n'adressa la parole à personne, ne mangeait pas, ne sortait pas. C'était comme si elle était morte dans l'eau, comme si son âme reposait avec celle d'Hunter. Elle se sentait surement coupable, coupable de n'avoir rien fait, de l'avoir laissé couler comme le Titanic. « Tu n'y es pour rien Low, je t'assure. » Tout le monde ne cessait de le lui répéter, impossible de les croire. Elle n'osait pas non plus avouer que pendant quelques secondes elle avait songé à se noyer elle aussi, ne plus remonter, jamais. Keats lui rendait souvent visite, il ne se disait rien, ils se regardaient du coin de l'oeil, mais ça leur convenait. « Je suis désolée. » Il ne parvint pas à cacher sa surprise, deux semaines sans prononcer un mot et voilà qu'elle s'excusait. « Désolée de quoi ? » Soledad commença à s'ouvrir, son visage se détendait petit à petit. « Je suis vraiment égoïste ... » Il ne comprenait pas là où elle venait en venir, il se passa une main dans les cheveux un air d'incompréhension totale pendu à son visage. « C'était ton meilleur ami aussi. Le meilleur ami de Wren, de Jax également. » Elle aurait juré voir des larmes monter aux yeux de Keats, lui qui ne faiblissait devant rien ni personne. Et puis ils se turent, pas un mot de plus. Ils se comprenaient, c'est tout.

L'AMOUR. Décembre 2012, Marlow et Jax ont vingt-deux ans.
Ils sortirent de scène, la salle était en délire, ça les changeait bien du public restreint du pub de Glenn Oak, composés essentiellement de pochtrons et des piliers de bar. A Perth tout était plus grand et plus imprévu. Surtout plus imprévu. Keats, juste avant de monter sur scène, avait tenu à finir le concert par une chanson qu'il avait écrite. Jax, Wren et Marlow savaient qu'il avait une belle voix, mais il avait toujours tenu à rester à l'écart de ce rôle qui appartenait à Hunt, focus sur sa guitare. Mais ils l'avaient évidemment laissé faire. « Marlow, la chanson, elle était pour toi, ça crevait les yeux ! » Jax lui avait lancé ça en backstage avant de s'engoufrer dans les coulisses, violement tirés de toute part par des fans en délire. Pour elle ? Les paroles raisonnaient dans sa tête. We were there but we did nothing. Since you remain silent, as me. You for the death, me for my feeling. How to say, I love you ? Marlow capta une discussion entre des filles certainement à la recherche d'un des garçons pour un autographe. « Je sais pas à qui s'adresse la dernière chanson, mais c'était en tout cas une belle déclaration. » Elles gloussèrent toutes en même temps. « Oh ouais trop, j'aurais bien aimé que ce soit pour moi ! hihihi » Marlow restait là, immobile. Elle leva la tête vers le fond du couloir sombre. Keats se tenait tout aussi droit qu'elle, et la fixait sans un mot. Puis il disparut.

L'AMOUR ?
uc.